La semaine dernière, je venais de terminer un livre un peu sérieux et j’avais envie de m’offrir le plaisir de lire un bon roman. C’était dimanche, les librairies et la médiathèque étaient fermées. Je n’avais pas grand choix de livres neufs sur mes rayonnages de bibliothèque. J’ai alors repensé que ça faisait un moment que je souhaitais relire « Narcisse et Goldmund » de Hermann Hesse, merveilleux roman initiatique qu’un ami m’avait fait découvrir il y a plus de vingt ans et que j’avais alors lu avec beaucoup d’intérêt. En ouvrant le livre, je me suis rendu compte que je l’avais annoté lors de ma première lecture, en soulignant des passages, en mettant quelques mots au début de chacun des chapitres, gestes que j’avais totalement oubliés.
J’ai pris à nouveau beaucoup de plaisir à relire cette belle histoire, d’autant plus que je me suis redécouvert vingt ans plus jeune, à travers les passages qui avaient alors attiré mon attention et que j’avais cochés au crayon. Je cocherai à nouveau une bonne partie de ces passages, preuve que l’on ne change pas tout à fait en vingt ans. D’autres parties, que je n’avais alors pas surligné, me paraissent aujourd’hui très fortes ; preuve que l’on n’est plus tout à fait le même non plus vingt plus tard. Ma découverte m’a d’autant plus troublé que le livre raconte la vie de deux jeunes garçons, du début de leur scolarité, jusqu’à, disons, leur cinquantaine. Ce qui correspond sensiblement pour moi à la période allant de l’âge où j’ai lu ce livre jusqu’à maintenant.
C’est une belle expérience que je vous invite à vivre. La prochaine fois que vous lisez un bon roman, armez vous d’un crayon et laissez-y un peu de vous-même. Puis rangez soigneusement le livre au fond de votre bibliothèque et donnez-vous rendez-vous dans vingt ans. Ou plus loin encore, si vous êtes optimiste !
L‘histoire de Narcisse et Goldmund me rappelle mon entrée au collège. C’était en septembre 1968. Mon frère était en terminale dans le même établissement scolaire. Les soubresauts de mai 68 étaient encore tangibles : grèves, manifestations, meetings constituaient les principales occupations de ceux que je percevais comme des « grands » -les lycéens- et que je regardais de loin, sans bien comprendre ce qui se jouait à quelques pas de moi.
Un matin, le proviseur du lycée vint dans ma classe pour dire qu’il était interdit aux collégiens de participer à la grève. Le midi, je racontais innocemment cette anecdote pendant le repas familial. En fin d’après-midi, des camarades de classe de mon frère vinrent me chercher à la sortie des cours. Ils souhaitaient que je vienne au meeting qui se tenait dans le hall du lycée pour relater les propos qu’avait tenus le proviseur. Comme je n’avais pas très envie d’y aller, ils m’ont littéralement porté jusqu’au milieu du cercle formé par des centaines de lycéens assis. J’ai alors raconté, face au proviseur, ce que ce dernier était venu dire dans ma classe le matin même, ce qu’il nia catégoriquement … sous les huées des lycéens. Pendant les jours qui suivirent, je devins la mascotte du lycée. Cet événement eut une grande influence sur la manière de voir le monde du petit bonhomme de dix ans que j’étais. Je découvrais en effet que les adultes qui nous inculquaient la vérité étaient capables de mensonges ; et que, dans des circonstances particulières, le faible pouvait dénoncer ces mensonges. Mais ce qui m’apparut comme la révélation la plus significative, c’était que le héros de cet épisode historique, où le pot de terre a raison du pot de fer, n’était autre que mon grand frère …
A la dernière page du livre de Hermann HESSE, j’ai retrouvé une citation de Henri GOUGAUD, écrite de ma main. Elle résumait sans doute, dans mon esprit de l’époque, le sens que je donnais à ce roman. Cette citation, je l’avais recherchée plusieurs fois, sans succès. Maintenant que je l’ai retrouvée, je la partage volontiers. A tous les sens du terme.
«Si vous croyez à la gadoue, à la nuit épaisse, il faut croire aussi au jour limpide, car ils vont ensemble ».