... une pièce de théâtre dramatique. Zola un épais roman dans la lignée des Rougon-Macquart. Jean Pierre Azéma une série télévisée qu’il aurait pu appeler Un village français tant l’histoire familiale de ses aïeux se trouve concentrée à Dammarie-sur-Loing. On se contentera ici d’un court chapitre retraçant leur vie à coup d’actes d’état civil. Par courrier, je continue leur collecte qui me permet, à chaque réponse, de remonter d’un cran dans la famille de la mère de Marcel. Je complète ces données par deux journées de recherche aux Archives départementales du Loiret. Et une visite de Dammarie-sur-Loing. Je traverse le village à pied, franchissant le pont qui enjambe le canal de Briare reliant la Loire à la Seine. Je prends le frais sous le toit pentu du lavoir où toutes les femmes dont il est question ici allaient laver leur linge il y a un siècle. Je remonte la rue jusqu’à l’église où sa mère allait à la messe le dimanche, visite le petit cimetière qui la jouxte, observant attentivement les inscriptions sur les vieilles pierres tombales dans l’espoir d’y voir inscrit le nom de l’un de ses lointains ancêtres. A la mairie, la secrétaire me remet un à un les fins registres où, par période de dix ans, sont inscrits naissances, mariages et décès des habitants de la commune. Je complète ainsi ma collection d’actes avec le même entrain qu’enfant je collectionnais des timbres-postes. Le monde s’y limite aux sept cents habitants d’un village du siècle dernier, mais ce monde-là me semble aussi extraordinaire que les somptueux timbres des pays lointains que je collais dans mon album. Au total, une vingtaine d’actes de naissance, de mariage et de décès. Une fois retranscrits sur des fiches bristols – une fiche par personne – puis combinés sous forme d’arbre généalogique, je reconstitue l’histoire de sa famille, qui pourrait se résumer ainsi : il était une fois, une jeune femme ...
... ou bien Le clerc. Ou bien encore Leclair. Va savoir ! Paradoxal de ne pas parvenir à écrire un nom qui signifie « celui qui est lettré ». Pas si étonnant que ça, en fait : au dix-neuvième siècle, l’école était loin d’être un passage obligé pour les enfants des familles modestes. La loi qui imposa aux communes d’ouvrir une école primaire de filles fut promulguée en 1867 ; la mère de Marcel en bénéficia, mais avant elle ? Louise Prudence donc, naissait en 1823 – je ne sais pas qui étaient ses parents, ni d’où ils venaient. Je sais en revanche avec certitude qu’elle était son arrière-grand-mère. A l’âge de vingt-trois ans, elle mettait au monde un enfant de sexe masculin dans la commune de Langesse, village proche de Dammarie-sur-Loing. Elle accoucha au domicile du sieur Etienne Noblet, journalier, âgé de trente ans, demeurant au Bourg. C’est lui qui vint déclarer l’enfant né la veille, le premier février 1846. Enfant, qu’il présenta au maire de la commune et à qui il donna les prénoms d’Antoine Etienne. Dans la marge, le registre précise qu’il s’agissait d’un enfant naturel. Le grand-père de Marcel non plus ne connut pas son père. L’acte précise que l'arrière-grand-mère de Marcel était surnommée « La Belle Sueur ». Peu après, Louise Prudence quitta Langesse avec son enfant pour rejoindre Dammarie-sur-Loing où elle se maria avec François Cotté. C’était un vigneron, divorcé d’une première union qui lui avait donné deux enfants. De cette nouvelle alliance naquirent trois filles : Prudence, Elisa et Célina qui furent élevés avec Antoine Etienne, leur demi-frère plus âgé qu’elles. L’activité de vigneron de François Cotté l’amena à héberger sa famille dans différents lieux du village : le hameau de Bruxelles, celui des Polyssets et enfin au Bourg. Antoine Etienne, une fois jeune homme, partit travailler comme domestique à Rogny, commune célèbre pour ses sept écluses également positionnées sur le canal de Briare. Il revint toutefois à Dammarie-sur-Loing se marier avec Louise Thérèse Paré, qui était également une fille de vigneron. Leur mariage fut célébré le sept novembre 1871 en mairie de Dammarie-sur-Loing. Au bas du registre d’état civil, Antoine Etienne signa son nom qu’il décomposa en deux parties : « Le Clair ». De leur union naquirent successivement quatre enfants. La mère de Marcel, Louise Lisa Léonie était l’aînée. Les trois autres enfants du couple furent appelés Louis Etienne, Léontine, et le dernier, Désiré Antoine, qui vit le jour le 14 juillet 1887. La mère de Marcel était âgée de quinze ans à la naissance de ce jeune frère. Moins de trois ans plus tard, elle s’enfuyait à Paris. L’année suivant son départ, sa mère mourait. Son père, alla s’installer à Montargis où il vécut encore une quinzaine d’années. Il s’éteignit à l’âge de soixante-huit ans, le 11 novembre 1914. La mère de Marcel avait donc à moitié menti lorsqu’elle déclara, en le déposant à l’Assistance publique, que ses parents étaient décédés. Seule sa mère l’était. Son père vivait encore. L’ignorait-elle ? Etait-elle fâchée avec lui ? Avait-elle perdu tout contact avec sa famille ? L’état civil n’apporte pas de réponses à ces questions.